le 9/06/2004 au Festival d'Annecy

 

 


Alexis Hunot : Aujourd'hui, malgré les grandes prouesses techniques de l'ordinateur, il manque aux effets spéciaux l'émotion que vous faisiez naître grâce à vos créatures animées de manière plus artisanale…

Ray Harryhausen :Tout cela est l'héritage de King Kong, qui restera un film unique, et cela même si le remake de Peter Jackson est prometteur. King Kong a été une véritable avancée.

A.H. : …malgré les traces de doigts de Willis O'brien sur la fourrure de King Kong !

R.H. : (Rires) Au contraire cela faisait partie de la personnalité de King Kong. Aujourd'hui on peut critiquer cela mais à l'époque on imaginait que c'était le vent qui faisait bouger sa fourrure ! King Kong a changé ma vie, cela vous prouve la force que peut avoir un film sur la vie des gens. Et je suis donc très fier lorsqu'à mon tour on vient me demander de signer des autographes en me disant que mes films ont poussé les gens à être paléontologue ou dans le cinéma. Je suis content que nos films aient pu laisser une influence positive car ils étaient avant tout fait pour distraire.

A.H. : Faisiez vous beaucoup de recherches avant d'animer vos dinosaures ?

R.H. : Oui bien sûr. Car cela me fascinait de créer quelque chose qui n'existait plus. C'est ce que disait W. O'Brien : " Pourquoi créer quelque chose qui est vivant ? ". Mais pour rendre vraisemblable un dinosaure il fallait étudier ce que les scientifiques savaient. Les dessins de Charles R.Knight m'ont aussi énormément inspiré.

A.H. : Faisiez-vous des storyboards pour vos séquences ?

R.H. : absolument. C'est essentiel. J'ai appris cela de Mr Willis O'Brien quand j'ai travaillé avec lui sur Mighty Joe Young (Monsieur Joe). Les storyboards sont indispensables car ils évitent le gaspillage. A l'époque nous avions des petits budgets, pas comme aujourd'hui où ils dépensent des millions et finalement la moitié des effets spéciaux se retrouvent sur le sol de la salle de montage ! Les budgets étant très limités, nous nous devions de planifier nos films de manière très stricte.

A.H. : A quel stade de la production rentriez vous en scène ?

R.H. : Je contribuais au film avant que le scénariste ne se mette réellement au travail. Je faisais des dessins qui me permettaient de faire passer mes idées. Nous avions des sessions qui duraient environ une heure et demie. Le scénariste avait écrit un traitement d'une dizaine de pages, et Mr Schneer, le producteur, et moi-même nous démontions ce traitement. Je lui montrais mes dessins et il réécrivait le scénario en incluant mes concepts. C'est comme cela que se faisaient ses films. Ils n'étaient pas l'œuvre du producteur, du scénariste ou de moi-même, mais le fruit de différents esprits.

A.H. : Et le réalisateur ?

R.H. : En fait nous sommes loin du concept du réalisateur à l'européenne. Dans nos films il est là pour obtenir le meilleur des acteurs, son travail n'est pas de concevoir le film ni au niveau artistique, ni au niveau de l'histoire. Bien sûr nous le consultions lorsqu'il était désigné. Mais notre budget nous obligeait à fixer de nombreuses choses avant qu'il n'arrive sur le projet. Pour Le 7ème voyage de Sinbad - qu'il faut absolument revoir sur grand écran car ce n'est vraiment pas la même chose qu'à la télé -, le budget total était de 650 000 dollars pour le film en entier. Pensez à ce qu'ils dépensent aujourd'hui. Certes nous n'avions pas de grandes stars qui aujourd'hui ont des cachets exorbitants mais nous n'en avions pas besoin ! Et Le 7ème Voyage de Sinbad connut un très beau succès !

A.H. : C'est un film que vous vouliez faire depuis longtemps ?

R.H. : J'ai eu l'idée du film juste après voir travaillé sur Mighty Joe Young. A l'époque j'avais fait huit grands dessins, quelques petits et un traitement d'une vingtaine de pages. Et j'ai fait le tour d'Hollywood mais personne n'était intéressé. Tout le monde disait que les films fantastiques étaient morts. C'est à cette époque qu'Howard Hughes avait produit Son of Sinbad dans lequel il avait fait tourner Lili St Cyr, une célèbre stripteaseuse. Il avait fait du film un "Girlie Show " et non pas un film proche du conte original. Le style de film que je voulais faire ressemblait plus à un film fantastique comme Korda l'avait si bien fait avec Le Voleur de Bagdad. J'ai donc abandonné le projet jusqu'à ce que je rencontre Mr Schneer quelques années plus tard et quand il a monté sa propre compagnie, il s'est mis à chercher des sujets et c'est alors que j'ai ressorti mes dessins. Très excité par le projet, il a été voir Columbia, qui distribuait ses films, et ils ont ainsi décidé de participer à la production. Mais Mr Schneer n'avait pas obtenu l'argent nécessaire pour en faire un film aussi soigné que je l'avais voulu. J'ai donc du repenser aux différents concepts que j'avais créé de manière à coller avec le budget que nous avions obtenu, tout en essayant de rester fidèle à ma première vision. J'ai donc travaillé avec le scénariste avec mes nouveaux dessins et il a écrit un scénario un peu différent de ce que j'avais imaginé.

A.H. : Comment expliquez-vous que dans tous les films auxquels vous avez participé, les seules scènes dont on se souvienne sont celles que vous avez mises en scène ?

R.H. : Je ne sais pas… Mais je crois que c'est la beauté de l'animation en Stop Motion : elle donne une impression de rêve. C'est ce qui m'avait fasciné en voyant King Kong, je savais que cela n'était pas vrai et pourtant je ne savais pas comment c'était fait. C'était comme voir un cauchemar. Les mouvements n'étaient pas complètement réalistes et pourtant cela avait l'air vrai. Ca ne pouvait pas être un homme en costume, c'était très hypnotique. Aujourd'hui on vous explique comment tout est fait avant même que le film ne sorte, ça gâche tout ! Dans les années 30 et encore dans les années 50 les films avaient une place importante dans la vie de chacun. Vous attendiez avec impatience samedi soir pour voir le dernier film dans votre cinéma de quartier. Aujourd'hui vous pouvez en voir absolument partout, ce n'est plus la même expérience.

A.H. : N'avez-vous jamais eu de problèmes avec les réalisateurs des films ?

R.H. : Quand ceux-ci étaient aussi directeurs artistiques, comme Don Chaffey (Jason et les argonautes) ou Nathan Juran (Le 7ème voyage de Sinbad), ils connaissaient les problèmes techniques donc il était plus facile de discuter avec eux. Mais en effet, certains réalisateurs ne se rendaient pas compte de l'importance du travail que nous faisions avant qu'il arrive sur le film. Un réalisateur a même essayé de me faire virer : il trouvait que j'avais trop de pouvoir !

A.H. : Vous leur faisiez beaucoup d'ombre… !

R.H. : Un journaliste a même écrit une fois " Quel dommage que Mr Harryhausen n'ait pas animé les acteurs ". (Rires) Mais j'ai toujours essayé de temporiser les choses car pour moi le plus important était que le film soit terminé !

A.H. : Pourquoi n'êtes vous jamais passé à la réalisation d'un film ?

R.H. : Je dirigeais mes séquences, ce qui était déjà énorme, et j'aurais eu trop peur de ne pas pouvoir donner le maximum à la fois pour les effets spéciaux et pour les acteurs. Je n'avais pas la mentalité d'Orson Welles. Et même lui n'a jamais fait un film à lui tout seul !

A.H. : Et vous n'aviez que très peu de temps sur ces productions pour réaliser vos propres séquences ?

R.H. : C'est pour cela que nous nous devions de tout planifier en amont de manière à ce qu'il n'y ait rien à jeter lors du montage : plus de 90% de ce que vous voyez sur l'écran est fait en une seule prise, nous n'avions ni l'argent ni le temps pour refaire les scènes. Je le regrette aujourd'hui quand je revois certaines scènes, mais il fallait accepter le fait que l'argent était limité. Il fallait que le meilleur de ce que l'on pouvait faire se trouve sur l'écran.

A.H. : Pourtant l'animation est un procédé qui demande du temps. La fameuse scène du combat des squelettes dans Jason et les argonautes vous a pris 4 mois de travail ?

R.H. : Il n'a fallu que deux semaines pour tourner les scènes de prises de vues réelles. Mais il a fallu quatre mois pour faire l'animation et surtout synchroniser les deux scènes. Car chaque plan devait être analysé de manière à ce que les mouvements des épées et des personnages puissent être en parfaite interaction. Il fallait donc compter chaque plan et c'est ce qui a pris beaucoup de temps. Dans certaines scènes vous pouvez voir les 7 squelettes se battre contre les 3 acteurs. Il fallait donc faire attention aux mouvements de ces sept squelettes, et tout cela je l'ai fait seul, sans aucune aide !

A.H. : C'est un travail phénoménal car lorsque l'on revoit cette scène il y a énormément de mouvements…

R.H. : Oui c'est pour cela que je préfère travailler seul car c'est un travail qui demande beaucoup de concentration et si quelqu'un vous interrompt pour vous demander l'heure ou si vous voulez du café, vous pouvez perdre cette concentration et donc oublier si la tête du squelette doit aller en avant ou en arrière. Et si en dessin animé ou en images par ordinateur vous pouvez recommencer à l'endroit où il y a une erreur, ce n'est pas possible en Stop motion animation : quand vous commencez une scène vous devez la finir ou tout recommencer…

A.H. : La seule fois où vous avez été aidé, c'était pour Clash of the Titans

R.H. : Oui car nous étions en retard sur la date de sortie, et nous avons eu de gros problèmes techniques. J'ai donc fait appel à Jim Danforth et Steve Archer. Ils ont réalisé certaines séquences à partir des mes dessins.

A.H. : Que pensez-vous des films qui se font aujourd'hui ? Aviez-vous apprécié Jurassic Park, et son mélange ordinateur / stop motion ?

R.H. : Oui c'est un film très bien fait. C'est une manière différente d'aborder le cinéma. Nous nous instaurions toujours un côté mélodramatique à nos films fantastiques alors que la nouvelle génération essaye de rendre ces univers réalistes. Et je ne pense pas que le réalisme soit ce que l'on peut faire de mieux dans le domaine du divertissement. Il faut dire qu'à notre époque le public et les journalistes n'étaient pas aussi critiques qu'aujourd'hui. Aujourd'hui on analyse autant la manière dont le film est fait que le film lui-même. Et surtout aujourd'hui les films sont de plus en plus déprimant ! On critiquait Hollywood pour faire des Happy Ending mais vous ne voulez pas sortir du cinéma en voulant manger votre voisin ! On est trop dans le négatif pas assez dans le positif.

A.H. : Pourquoi avoir arrêté après Clash of the Titans ?

R.H. : Je commençais à en avoir un peu assez et puis les films qui commençaient à devenir populaire à cette époque avaient tendance à se tourner vers le futur plutôt que vers le passé et cela m'intéressait moins. De plus l'ordinateur arrivait petit à petit et je sentais qu'il valait mieux que j'arrête.

A.H. : D'ailleurs à part quelques exceptions, dont Phil Tippett (La Guerre de Etoiles, Jurassic Park), quasiment plus personnes ne fait de la Stop Motion…

R.H. : Il fait d'ailleurs un travail intéressant, tout comme Aardman (Wallace et Gromit). Mais pour Aardman, si la technique est la même - l'image par image -, leurs personnages se doivent d'être stylisés, comme ceux de Georges Pal. La différence avec la stop motion c'est que nous devions rendre crédibles nos créatures à l'intérieur d'un film de prise de vues réelles.

A.H. : Merci...

 

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